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Ordures ménagères :
Que Choisir, victime ou complice du lobbying de l’ADEME ? (1)
Le Collectif Val-de-Loir (72) démonte une enquête (sic) de Que Choisir et les manipulations de l’ADEME : la redevance incitative, un enfumage de première dont l’objectif à terme est la privatisation du service public.
1 – Le contexte
Pour qui a quelque peu étudié le sujet, une évidence s’impose : toute la démonstration, toutes les références du dossier publié dans l’enquête (sic) de Que Choisir (n° 566, février 2018) ont été puisés à une source unique, l’ADEME. Or l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie n’est en rien un organisme indépendant chargé de diffuser une information aussi objective que possible. Il s’agit d’un bras armé de l’État ayant pour mission, en ce qui concerne les déchets ménagers, de faire passer dans la vie, envers et contre, tout l’objectif fixé – sans guère de débats – dans la loi de transition énergétique : 15 millions d’habitants à la RI en 2020 et 20 millions en 2025, étapes vers une généralisation de ce mode de financement. On en est loin, très loin. L’ADEME s’en inquiète d’autant que les résistances sont vives de la part de nombreux élus, certes, mais aussi de citoyens qui ont regardé les choses de près et ne se sont pas satisfaits des apparences.
Alors tous les moyens sont bons pour faire avancer le schmilblic. Y compris le lobbying, c’est-à-dire l’action en groupe de pression s’affranchissant des principes du débat démocratique. C’est ainsi que début 2017 l’ADEME a lancé un appel d’offre de marché public en vue de «l’accompagner dans le déploiement d’une stratégie de marketing et de lobbying politique et/ou d’influence relative à la tarification incitative.»(1). Cet appel d’offre s’est, semble-t-il, conclu par un contrat (sans doute juteux) avec un cabinet parisien qui se revendique ouvertement « spécialiste du lobbying politique »(2).
En faisant endosser son discours unilatéral par une revue de défense des consommateurs réputée indépendante, l’ADEME a incontestablement réussi un grand coup. En se laissant prendre à ce jeu sans y regarder de trop près, Que Choisir endosse une lourde responsabilité. Très habile est son point de départ : solliciter de ses lecteurs la communication de la TEOM qu’ils payent. L’image qui en sortirait était, à l’évidence, connue d’avance même si rien ne permet d’affirmer que les 8 000 réponses reçues sont représentatives de l’ensemble des foyers de l’hexagone. Nous sommes aux antipodes du sérieux de l’étude indépendante que l’UFC Que Choisir avait réalisée sur la même problématique en 2011 (3).
2 - Un service public d’intérêt général
Les rédacteurs écrivent : « Cette taxe d’enlèvement des ordures ménagères est une absurdité, un non-sens absolu. Sans rapport avec la gestion des déchets, elle dépend d’un seul et unique critère, la valeur locative du bien » C’est mot à mot ce que servent les éminents représentants de l’ADEME quand on a le très rare privilège de parvenir à les rencontrer. Mais s’il y a bien une absurdité c’est cette caricature. En premier lieu, la TEOM est un prélèvement fiscal dédié. Contrairement à ce qu’affirme Mathieu Glachant (p.47) - « La TEOM est un impôt local qui laisse beaucoup de liberté sur le plan budgétaire » - cette taxe ne doit servir à rien d’autre qu’à financer le service des ordures ménagères. Il est vrai que des collectivités locales ont pris leur aise avec cette règle à propos de laquelle le Conseil d’État a mis les points sur les « i » dans un important arrêt du 31 mars 2014. En second lieu, la référence à la valeur locative cadastrale (il ne s’agit pas de la valeur locative déterminée par l’agence immobilière du coin) est le critère de répartition de ce prélèvement fiscal entre les assujettis. Avant de proclamer l’affaire « non-sens absolu » il y a lieu de répondre à deux questions.
Première question : qu’est-ce que le service public de collecte et de traitement des ordures ménagères ? Observons d’abord que la production de déchets ne constitue en rien une consommation procurant une utilité personnelle comme il en est pour l’eau ou l’énergie. Il est cependant incontestable que le comportement de chaque foyer contribue en ce domaine à une nuisance collective. Jouant un rôle majeur en matière de prévention et de respect de la salubrité et de la santé publiques, le service public de collecte et de traitement des ordures ménagères a donc une utilité inséparablement individuelle et collective. Il s’agit donc d’un service d’intérêt général qui concerne l’ensemble des habitants et l’ensemble du territoire, indépendamment de la quantité et de la nature des déchets que tel ou tel foyer particulier doit éliminer. Même si les faits ont largement anticipés sur la règle, le texte fondateur de ce service public est la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975. Elle fait obligation aux collectivités locales d’assumer ce service. En outre, chaque département est doté d’un règlement sanitaire relevant d’un arrêté préfectoral dans lequel il est fait obligation aux particuliers de présenter leurs déchets au service public de collecte.
Seconde question : quel est, en France, le mode normal de financement des services publics d’intérêt général dont l’objet dépasse l’intérêt individuel de tel ou tel habitant ? C’est l’impôt en vertu du principe posé par l’article 13 de la déclaration de droits de l’homme et du citoyen de 1789, laquelle a toujours valeur constitutionnelle : «Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.» C’est ainsi que les services publics locaux d’intérêt général sont financés par les impôts locaux. Aux deux impôts ménages que sont la taxe d’habitation (TH) et la taxe sur le foncier bâti (TFB) s’est ajoutée en 1926 la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) assise sur les mêmes bases que la TFB mais d’un taux très inférieur.
Sans doute y a-t-il matière à débattre à propos des bases sur lesquelles la fiscalité locale en général et la TFB en particulier sont assises. Convenons volontiers que la valeur locative cadastrale est une réalité assez difficile à saisir. Reste cependant deux choses. D’une part, aussi obscures que soient pour la plupart d’entre nous les bases de la TFB et de la TEOM, de nombreuses études attestent qu’elles sont, malgré certains biais, en rapport avec la situation de fortune des ménages. Autrement dit, la contribution de chacun au financement des services d’intérêt commun varie selon les moyens dont chacun dispose. Ce mode de financement peut être recouvert d’un terme abominable : la solidarité. D’autre part, depuis 2005, les collectivités locales disposent de la faculté de plafonner le montant de la TEOM (article 1522 du code général des impôts) lorsque l’application stricte des règles de droit commun aboutissent à une distorsion excessive.
[à suivre…]
(2) Il s’agit du cabinet Anthenor Public Affaires dont le site internet est www.anthenor.fr
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